Contentez-vous d'une pomme
A l'heure où des émeutes
de la faim éclatent un peu partout dans le monde, les Français
chipotent dans leur assiette. Nous faisons semblant de nous interroger gravement
sur le menu de notre repas et finalement, nous
choisissons un grain de raisin... Tel Cyrano, nous dînons light. Mangeons
léger pour vivre longtemps, plus longtemps encore. Et lentement s'il
vous plaît, car tout est dans tout et il faut ardemment mastiquer pour
survivre au royaume des bien-portants. Plus que jamais, l'art de ruminer peut
devenir salvateur et nous voyons bien tout l'intérêt qu'il y a
à ne pas se moquer des vaches, ces ruminants de la première heure.
Ruminons, mes frères, et
révisons sans peur nos classiques. Vous avez cru durant des années
qu'il fallait ingurgiter chaque jour cinq fruits et légumes pour protéger
votre santé ; vous aviez même compris, par esprit de
système et par dévotion, cinq fruits ET cinq légumes :
une tranche d'orange pour maman, une bouchée de banane pour papa, un
quartier de pomme pour mamie, une cuillère de purée, un morceau
de carotte... Vous avez pratiqué
avec discipline cette ascèse : la quête des fruits et légumes,
l'épluchage, la cuisson. Grave erreur et, rétrospectivement, immense
contrainte, énorme perte de temps, gâchis incommensurable.
Les scientifiques et les diététiciens
vous le disent aujourd'hui : modérez votre consommation ! Contentez-vous
d'une pomme, ou d'un petit pruneau dont Molière disait déjà
avec justesse qu'il suffisait à relaxer. Trop de fruits nuisent à
votre équilibre car, y avez-vous songé, dans les fruits il y a
du sucre et dans le sucre risque de glucose. Et donc de prise de poids, de diabète
et tutti quanti... Conclusion, vous avez eu tort de suivre à la
lettre les recommandations du Programme national nutrition et santé depuis
2001 !
Protégez-vous en mangeant
moins de tout. Sachez vous contenir, apprenez à vous restreindre. Prenons
le lait, les produits laitiers en général et le yaourt en particulier.
Oui, le bon yaourt bulgare de chez nous. Faut-il
succomber à la tentation ? Faut-il refuser sa puissance d'attraction,
résister à sa belle robe blanche, à son nappé onctueux
? Ces dernières années, l'évidence s'est imposée
: les produits laitiers bonifient notre
capital osseux. Le Programme national nutrition et santé, encore lui,
recommande l'ingestion quotidienne de trois ou quatre laitages.
Vaste débat. Trois yaourts
quotidiens ? Ou quatre ? Tranchons pour deux car en toute chose il faut prudence
garder et pondérer vertus et inconvénients.
Trop peu de yaourts fragiliserait notre précieux squelette. Le bon dosage
protégerait notre côlon. L'excès nous conduirait à
un risque non négligeable de surpoids, voire pour les hommes à
un danger prostatique. L'affaire est
donc grave, et exige mesure et sens des responsabilités. Au moment de
déguster votre yaourt quotidien, réfléchissez, appréciez
et digérez bien...
Rappelez-vous qu'un ou deux yaourts, ça va, que trois ou quatre, bonjour
les dégâts.
Enfin, évitez de boire avec
excès, repoussez la bouteille que les publicitaires ne cessent de vous
vanter. Là aussi, il faut définitivement prendre conscience qu'avaler
verre après verre ne constitue pas forcément le
meilleur des régimes. Une rasade par-ci, une gorgée par-là
peuvent facilement vous conduire à absorber par accumulation jusqu'à
1,5 ou 2 litres par jour. Vous nous direz à juste titre : ce n'est que
de l'eau ! Oui, mais
dont vous n'avez pas besoin. De la belle et bonne eau que vous gaspillez pour
la rejeter aussitôt. Buvez malin : buvez moins.
Laurent Greilsamer
Article paru dans l'édition du Monde du 29.04.2008.